
Nombre de femmes et d’hommes qui cherchent l’épanouissement amoureux ensemble se retrouvent très démunis face au troisième protagoniste qui s’invite dans leur salon ou dans leur lit : le patriarcat. Sur une question qui hante les féministes depuis des décennies et qui revient aujourd’hui au premier plan de leurs préoccupations, celle de l’amour hétérosexuel, ce livre propose une série d’éclairages.
Après les très appréciés Sorcières, Beauté fatale ou encore Chez soi, Mona Chollet s’attaque cette fois à une problématique complexe et pourtant essentielle : l’influence du patriarcat sur les relations amoureuses. Elle choisit ici de se concentrer sur les relations hétérosexuelles. En quatre chapitres qui ambitionnent d’explorer en profondeur ce sujet, Mona Chollet s’inspire de sa vie personnelle, de nombreux essais et études, mais aussi des images véhiculées dans les œuvres littéraires et cinématographiques.
Le paradoxe de l’hétérosexualité
Une problématique qui semble à première vue insoluble. Car les relations homme-femme reposent selon Jane Ward, citée par Mona Chollet, sur ce présupposé : dans un système patriarcal, on apprend aux hommes à désirer les femmes, et en même temps à les mépriser et les haïr, à en faire des êtres inférieurs à eux. Comment construire une attirance et une relation saine lorsque l’on considère l’objet de son désir comme inférieur à soi ? Que les valeurs qui lui sont attribuées sont profondément méprisables pour soi-même ? C’est un paradoxe qui laisse songeur, et démontre l’étendue du travail restant à accomplir.
Sur quels modèles principaux se construisent les relations amoureuses des couples hétérosexuels ? Quels biais en font des relations profondément toxiques ? En quoi les premières victimes en sont les femmes ? Autant de questions auxquelles tente de répondre Mona Chollet. Elle aborde tout d’abord l’infériorisation des femmes dans les relations amoureuses cis hétéro, que ce soit aussi bien physiquement, intellectuellement que sentimentalement. Elle traite ensuite la problématique des violences conjugales, et son implémentation dans les imaginaires amoureux, avant de questionner la place de femmes dans la gestion unilatérale des sentiments et la charge mentale qui en découle. La quatrième et dernière partie aborde la sexualité hétérosexuelle et l’objectivisation permanente du corps féminin.
Si j’ai pu piocher des références intéressantes, et trouve le procédé utilisé par Mona Chollet de partir de son expérience personnelle accessible, je reste néanmoins sur ma faim, et en termine la lecture un peu déçue. Je dois même avouer avoir mis quasiment un an à faire ce retour par gêne de la critique, mais il faut accepter aussi de ne pas avoir totalement apprécié un ouvrage.
Réinventer, oui mais…
L’immense impensé de ce livre m’a interloquée : les relations non hétérosexuelles, et celles non monogames. Si je comprends le point de vue de l’autrice de ne pas se sentir experte, cela invisibilise une grande partie des relations amoureuses. Je trouve qu’il aurait été passionnant de comparer les dynamiques de couples dans différents types de relation, et si certains modèles hétéropatriarcaux peuvent se reproduire dans des relations amoureuses gays ou lesbiennes par exemple, et si oui comment. C’est vraiment dommage, et empêche d’élargir la réflexion. De plus, il aurait été intéressant d’explorer les différents types de relation (libre, polyamour, trouple), et de questionner la dynamique de domination qui s’instaure dans un couple monogame, tout en voyant si cela est aussi le cas dans ces autres formes de relations amoureuses.
En définitive j’ai surtout apprécié les citations et emprunts d’autres chercheur·e·s ou penseurs et penseusescité·es dans le texte, mais suis restée globalement sur ma faim quant aux réflexions propres de Mona Chollet. J’ai un peu eu l’impression de lire un patchwork de théories déjà entrevues dans d’autres ouvrages plus complexes et plus riches sur le sujet. J’aurais eu envie de pousser plus la réflexion, et surtout, d’être inspirée par d’autres propositions de modes de relations. Je suis en total accord avec la dénonciation de la violence inhérente à la relation amoureuse hétéropatriarcale, et sur le fait qu’il est plus que temps de déconstruire ce modèle toxique et délétère, mais il manquait pour moi un chapitre sur les solutions et les évolutions actuelles, d’autant plus au vu du titre de l’ouvrage.Mais peut-être n’étais-je pas le bon public pour ce livre, ou en attendais-je trop.
Cela reste quand même une porte d’entrée pour celleux qui démarrent leur réflexion sur le sujet, ou qui ont peur de lire des essais trop ardus.
Pour aller plus loin
Il existe un grand nombre d’autres références sur ces sujets, mais en voici quelques unes piochées ici et là, et qui me donnent envie de creuser cette thématique :
- Le coeur sur la table / Victoire Tuaillon, disponible en podcast et en livre. J’ai déjà écouté le podcast que j’ai trouvé vraiment passionnant, alors pourquoi pas se replonger dans ces questions en format livre cette fois-ci !
- The tragedy of heterosexuality / Jane Ward, paru chez NYU Pres
- Plusieurs références aussi chez Binge Audio Editions : Révolution amoureuse : pour en finir avec le mythe de l’amour romantique / Coral Herrera Gómez ; Post-romantique / Aline Laurent-Mayard, paru chez Binge Audio ; Sortir de l’hétérosexualité / Juliet Drouar, paru chez Binge Audio Editions
- Dans la maison rêvée / Carmen Maria Machado, paru chez Bourgois
- On peut également évoquer les BDs de Liv Strömquist parues chez Rackham, qui sont assez déprimantes et dont j’avoue ne pas aimer l’esthétique, mais qui sont bourrées d’informations !
Réinventer l’amour : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet. La Découverte, 2021.

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