Effacement / Percival Everett

Il fut un temps où je cherchais toujours un sens profond à tout, me prenant pour une sorte de détective herméneute, mais à douze ans j’y mis un terme. Je n’aurais pas été capable de le formuler ainsi à l’époque, mais j’ai depuis compris que j’avais en fait renoncé à toute quête d’élucidation de ce que l’on pourrait qualifier de structures signifiantes subjectives ou thématiques, pour les remplacer par de simples esquisses de descriptions de cas précis, à partir desquelles je pourrais au moins faire des inférences qui, toutes inconscientes fussent-elles, me permettraient de comprendre le monde tel qu’il m’affectait. En d’autres termes, j’appris à prendre le monde tel qu’il venait. En d’autres termes encore, je n’en avais rien à faire.

En quête d’une lecture originale qui imbrique différents récits comme des poupées russes, et vous fait réfléchir sur la création et ses limites ? D’une lecture qui égratigne le microcosme littéraire, et suit un protagoniste bourré de contradictions pris dans son propre piège ? Effacement est alors fait pour vous. Mais il peut aussi vous plaire si vous cherchez une histoire de liens familiaux un chouia dysfonctionnels, avec secrets de famille et rebondissements.

Résumé

Thelonious Ellison, dit Monk, est un écrivain américain ambitieux et puriste. Enfin, selon ses propres termes, car il semble surtout enfermé dans des débats abscons, et nourrir des passions un tantinet élitistes. Lui qui se rêve grand écrivain acclamé, ses revisites de la mythologie grecque et ses réflexions le Nouveau Roman n’attirent pas les foules. Tout le monde trouve ses textes difficiles, voire illisibles. Sa carrière stagne, sa vie personnelle n’est pas folichonne, et sa famille se disloque, tout comme la mémoire de sa mère.

Cela pourrait  donner lieu à un récit un peu ennuyant, risquer de frôler l’autofiction nombriliste, sauf que Monk est noir, et cela change beaucoup de choses. Lui issu d’une famille bourgeoise de médecins assez guindée est sans cesse ramené à sa supposée condition de Noir Américain issu du ghetto. Les personnes blanches sont surprises qu’il s’exprime bien, et il se sent un étranger auprès des personnes Noires Américaines dont il ne partage pas la même culture ni les mêmes références. Il ne se sent appartenir nulle part, une sorte d’outcast culturel. Un ovni qui ne rentre pas dans les cases. Lassé de ce manque de reconnaissance, et profondément agacé par le succès récent d’un roman censé raconter la vie la vraie du ghetto, mais est surtout une caricature raciste, il décide lui aussi d’écrire un court récit parodique, langue et événements gonflés au ridicule, sur la population afro-américaine. Sauf que la situation lui échappe et dérape petit à petit tandis que son monde personnel s’écroule…

Avis

Voilà un excellent roman ! C’est juste brillant, il avait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi intelligent et enthousiasmant. Être plongé dans la tête de Monk nous donne un point de vue subjectif que l’auteur se plaît à déconstruire en maitrisant parfaitement l’autodérision, tout en dénonçant le racisme et les stéréotypes que chacun.e applique au quotidien. C’est une profonde réflexion sur le pouvoir de la littérature, et ses limites. Partager la vie d’une communauté que l’on ne connaît pas, ou bien renforcer les clichés qu’il s’y rapportent pour mieux rester dans ses préjugés ? Percival Everett imbrique des tas de récits avortés dans ce journal de la vie de Monk, et nous fait le plaisir d’y insérer le roman incriminé que l’on va pouvoir lire et détester.

Cette fiction est un pamphlet politique sur les élites littéraires, et vous l’aurez peut-être compris attaque des productions qui ont vraiment été encensés comme des témoignages de la vraie vie des Noirs Américains, comme Push de Sapphire. Il nous invite à lutter pour dépasser les attentes, et surtout créer d’autres imaginaires où les relents racistes n’ont plus lieu d’être, que ce soit en littérature ou dans notre société. Si de tels textes ont le droit d’exister, et peuvent montrer des réalités dramatiques, l’accueil qui leur est fait est souvent au mieux déplacé, ou au pire renforce des clichés sans ouvrir de réels débats. Cela m’a fait penser aux différentes productions littéraires ou cinématographiques autour de l’esclavage, choquantes et déshumanisantes au possible. Mais aussi à la fascination de la fiction pour la violence faite aux femmes, et la dramatisation des parcours de vie des personnes LGBTQIA+. Comme si les minorités ne pouvaient s’imaginer vivre des vies épanouies et heureuses tout en étant acceptées. Les Etat-Unis possèdent une histoire complexe et violente que fait ressurgir le Trauma Porn, présent dans les fictions mais aussi dans les partages de vidéos virales. S’il est essentiel de revisiter un passé trouble, et de dénoncer des violences inacceptables, il ne faut jamais oublier l’impact que cela a sur les personnes directement concernées. Il est temps de partir à le reconquête de nos imaginaires, et il y a urgence !

Effacement, Percival Everett. Actes Sud, 2006.

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