La petite lumière / Antonio Moresco

Pas un signe de vie humaine. Excepté, quand l’obscurité se fait encore plus épaisse et que les premières étoiles commencent à paraître, de l’autre côté de cette étroite gorge abrupte, sur une partie plus plane de la ligne de crête, incurvée au milieu des bois comme une selle, chaque nuit, chaque nuit, toujours à la même heure, cette petite lumière qui s’allume soudain.

Un homme à l’âge incertain choisit de vivre reclus dans un hameau abandonné proche de la nature, pour « disparaître ». Intrigué par une petite lumière qu’il aperçoit chaque nuit au loin, il tente de résoudre ce mystère . D’où vient-elle ? Est-elle une présence humaine ? Un signe de vie autre ? En remontant la piste de cette lumière, il découvre un enfant vivant seul dans une maison délabrée, point de départ d’une relation profondément déroutante. Tout semble se transformer autour de cet homme, pour qui chaque signe semble pointer vers l’effondrement du monde tel qu’il a toujours connu.

Baser toute une histoire sur un petit événement, et en faire la métaphore de la condition humaine, voilà le tour de force que réussit brillamment ce récit, entrecoupé de réflexions du narrateur, et d’observations poétiques de la nature. J’ai aimé l’atmosphère étrange de l’histoire, où tout semble légèrement anormal, malaisant, et en même temps familier. Une forme littéraire d’inquiétante étrangeté, où l’on évolue dans un monde semblable au nôtre mais différent. Un champ lexical tout en euphémismes, avec l’utilisation très fréquente de l’adjectif « petit » pour diminuer l’inquiétude ne fait au contraire que l’accentuer, et fait émerger l’effroi en sous-texte. On frôle le réalisme magique, et tout cela prend un air de conte, une histoire que l’on raconterait au coin du feu : « il était une fois un homme qui vivait seul dans la forêt et qui voyait une petite lumière briller tous les soirs au loin… » L’irruption du merveilleux n’est jamais bien loin, on navigue entre réel et fantastique en permanence.

L’ambiance crépusculaire donne l’impression d’être constamment à ce moment du jour où le soleil décline, cet espace temps entre chien et loup qui permet l’arrivée de l’anormal, un temps où les frontières entre les vivants et les morts sont abolies. La temporalité est floue, et suit les saisons. Est-ce la fin du monde ? Est-ce la fin du monde intérieur du narrateur ? Est-il passé dans un autre monde sans s’en rendre compte ? A-t-il des capacités de communication, voit-il deux mondes qui se superposent ? Cet enfant est-il une projection de sa propre enfance, de sa propre solitude et de son sentiment d’abandon ? C’est inquiétant et trouble, mais aussi très touchant.

J’ai beaucoup aimé ce roman d’ambiance, tout en latence et en retenue, et me suis laissée porter sans souhaiter trancher moi-même sur l’énigme narrative proposée par l’auteur, car le texte est pour moi d’autant plus fort qui laisse les interprétations multiples possibles. Il y a certains chemins qui affleurent, mais libre au lecteur de les prendre, ou pas. Une très belle expérience de lecture, que j’ai découverte un peu par hasard en voyant ce petit livre apparaître régulièrement dans les chroniques bookstagram. Et qui va me marquer. Un ouvrage que je relirai, et qui je suis sûre m’apportera d’autres interprétations et d’autres questionnements. C’est une vraie réussite, qui montre le pouvoir de la littérature, et m’a rappelé qu’un petit roman peut cacher une grande oeuvre.

Évidemment cette solitude m’a fait penser à d’autres œuvres exploitant la fin d’un monde comme prétexte à une profonde réflexion intime des personnages, je pense notamment à Le mur invisible de Marlen Hoshaufer et à Trois fois la fin du monde de Sophie Divry, et suis preneuse d’autres conseils lecture de ce genre.

Roman lu dans le cadre du challenge #moins10dansmapal en 2024.

La petite lumière, Antonio Moresco. Editions Verdier, 2014.

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