
Dans cette belle rentrée d’hiver, certains titres ont vraiment piqué ma curiosité, que ce soit par leur proposition narrative, leur thématique, ou bien encore leur auteurice. Je vous présente ici dix ouvrages.
Sans valeur / Gaëlle Obiégly, Bayard

Résumé : « Il est arrivé, à l’automne 2022, qu’un petit tas d’ordures suscite mon attention au point que je m’agenouille sur le trottoir pour les considérer. En vue d’un déménagement dont l’échéance approchait, l’essentiel de mon temps était alors occupé au tri et à l’empaquetage de mes affaires. Triant laborieusement, j’ai passé plusieurs mois à discriminer ce qui a de la valeur et ce qui ne vaut rien. D’un côté ce qui est destiné au paradis des archives ; de l’autre ce qui est voué à disparaître dans le néant des ordures. »
Qu’est-ce qui compte ? Comment déterminer la valeur d’une chose ? En s’appropriant les affaires d’une inconnue, en les mettant en miroir à sa propre vie, la narratrice nous plonge dans une suite de réflexions et de pensées tour à tour drôles, étranges, poignantes, vertigineuses. C’est finalement l’essence même de notre condition humaine, vouée à la disparition, qui est interrogée dans ce texte sans équivalent et d’une incroyable puissance.
Une femme entre dans le champ / Emmanuelle Tornero, Éditions Zoé

Résumé : son nouveau statut de mère semble avoir déclenché chez L une lucidité extraordinaire en même temps qu’une profonde solitude. Elle oscille entre indifférence et fascination face à son enfant. Plus largement, c’est une dérive, une séparation d’avec le monde commun qui est à l’œuvre. Où cela la mènera-t-elle ? Peut-on vivre sous un figuier étrangleur ? Est-il possible de devenir un objet ? Qu’est-ce qu’une caresse ?
Le portrait de cette « femme à l’enfant » envoûte. La puissante délicatesse, la précision de l’écriture, la dimension concrète d’impressions diffuses nous donnent accès à l’intimité de cette femme qui se détache de son quotidien. Avec une maitrise éblouissante du montage et de l’ellipse, le sens de la suggestion et de la tension, Emmanuelle Tornero nous fait naviguer entre les jours de L, jours d’avant et jours d’après, jours intérieurs et jours extérieurs, dans les champs, sur les routes, au bord des plages.
Border la bête / Lune Vuillemin, Editions La Contre Allée

Résumé : d’abord, il y a la rencontre avec Arden et Jeff – cette grande femme aux mains d’araignée et cet homme à l’œil de verre –, alors qu’ils tentent de sauver une orignale sur les berges d’un lac gelé de l’Ontario, au Canada. Touchée par cette rencontre, notre narratrice décide de les suivre et de rester avec eux dans le refuge dont ils s’occupent, soignant les animaux blessés.
Au cœur de cette nature marquée par les saisons, où humains et non-humains tentent de cohabiter, notre narratrice, suffisamment énigmatique pour que l’on puisse y trouver une part de nous-même, apprivoisera ses propres fêlures tout en apprenant à soigner les bêtes sauvages, et à écouter et interpréter les sons de la forêt et de la rivière.
Border la bête est un roman magnétique, tant par les impressions fortes que génère l’évocation sensible et incarnée des paysages, que par celles que nous procurent ses personnages aux silences éloquents et aux caractères forgés par l’existence.
Histoire de l’île / Evgueni Vodolazkine, Éditions des Syrtes

Résumé : une île qui ne figure sur aucune carte géographique et qui fait l’objet d’une mystérieuse prophétie. L’histoire de cette île imaginaire est racontée par trois voix : celle de chroniqueurs qui donnent leur version des faits, et la double voix d’un couple princier qui les commente et rectifie, semant le doute sur la version officielle de l’histoire. Les dirigeants se succèdent avec plus ou moins de bonheur, le pouvoir les métamorphose, certains perdent la raison, d’autres littéralement leur tête…
Nous voici donc plongés, à la manière d’une chronique médiévale, dans plusieurs siècles de guerres, de trahisons, de révolutions et de perpétuelles transformations. Le passé et le présent, le réel et le fantastique s’interpénètrent habilement, et dans cette succession d’époques et de décideurs, le lecteur devient le témoin privilégié de la « fabrique » de l’Histoire. Le tout raconté avec un humour ravageur et une subtile ironie par un Evgueni Vodolazkine au sommet de son art.
La Louisiane / Julia Malye, Editions Stock

Résumé : pour la première fois depuis trois mois, elles discernent enfin le sable que leur cachait l’eau lors de la traversée de l’Atlantique, ce fond de l’océan qu’elles ont brièvement aperçu ce matin en débarquant de La Baleine. Personne ne leur a expliqué où elles seraient logées ce soir, dans combien de temps elles seraient fiancées. On ne dit pas tout aux femmes.
Paris, 1720. Marguerite Pancatelin, la Supérieure de la Salpêtrière, est mandatée pour sélectionner une centaine de femmes « volontaires » qui seront envoyées en Louisiane afin d’y épouser les colons français.
Parmi elles, trois amies improbables : une orpheline de douze ans à la langue bien pendue, une jeune aristocrate désargentée et rejetée par sa famille ainsi qu’une femme condamnée pour avortement. Comme leurs compagnes à bord de La Baleine, Charlotte, Pétronille et Geneviève ignorent tout de ce qui les attend au-delà des mers. Et n’ont pas leur mot à dire sur leur avenir.
Ces étrangères réunies par le destin devront braver l’adversité – maladie, guerre, patriarcat –, traverser une vie faite de chagrins d’amour, de naissances et de deuils, de cruauté et de plaisirs inattendus. Et d’une amitié forgée dans le feu.
Un roman d’une profondeur et d’une émotion saisissantes, qui nous transporte au cœur d’une terre impitoyable, aux côtés d’héroïnes animées d’une extraordinaire soif d’amour et de vie.
Voyages sans bagages / Tove Jansson, La Peuplade

Résumé : cette œuvre de sagesse, jamais encore publiée intégralement en français, fait vibrer tous ses protagonistes d’une émouvante humanité. Un homme qui a trop écouté ses semblables décide de les fuir en prenant la mer, un petit garçon moraliste met à l’épreuve sa famille d’accueil sur une île finlandaise, dans une serre deux vieillards se disputent un banc des semaines durant, en Espagne deux expatriées s’affrontent au couteau en plein défilé de carnaval, ou encore une vieille fille emprunte les souvenirs d’une autre. Au sommet de son art littéraire, Tove Jansson parvient, dans Voyages sans bagages, avec une aisance merveilleuse et un sourire en coin, à dire tout simplement les peurs, les gênes et les joies de chacun de ses personnages.
L’Oncle se leva, il marcha droit vers le bassin et entra dedans, il pataugea et balaya les feuilles et les nénuphars sans la moindre considération et se retourna pour crier :
– Josephson ! Tu vois ce que je fais !
– Bien, répondit Josephson qui posa son livre. Continue comme ça. C’est très stimulant.
Le grand magasin des rêves / LEE Mi-ye, Éditions Picquier

Résumé : il existe une ville où l’on ne peut se rendre que dans son sommeil. L’endroit le plus populaire de cette ville est le Grand Magasin des Rêves, qui semble un immense paquebot tout miroitant de lumières et haut de quatre étages où l’on propose et vend tous les rêves imaginables : rêves d’enfance, de voyage, de nourriture délicieuse, mais aussi cauchemars, songes prémonitoires ou consolateurs. La jeune Penny vient juste de réussir son entretien d’embauche, elle commence son travail à la réception du rez-de-chaussée, et c’est avec elle que nous allons découvrir l’univers chatoyant du Grand Magasin des Rêves, où, chaque nuit, une foule de dormeurs humains et animaux viennent choisir les rêves qu’ils désirent vivre.
Un roman pétillant comme un diabolo menthe pour les adultes qui ont gardé le goût de l’enfance, et un succès prodigieux en Corée avec plus d’1 million de lecteurs qui ont aimé rêver en plein jour.
Du même bois / Marion Fayolle, Gallimard

Résumé : « Les enfants, les bébés, ils les appellent les “petitous”. Et c’est vrai qu’ils sont des petits touts. Qu’ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Tout ce qu’ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout. C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi. » Dans une ferme, l’histoire se reproduit de génération en génération : on s’occupe des bêtes, on vit avec, celles qui sont dans l’étable et celles qui ruminent dans les têtes. Peintes sur le vif, à petites touches, les vies se dupliquent en dégradé face aux bêtes qui ont tout un paysage à pâturer. Marion Fayolle crée un monde saisissant dont la poésie brutale révèle ce qui s’imprime par les failles, par les blessures familiales, comme dans les creux des gravures en taille-douce.
Aliène / Phoebe Hadjimarkos Clarke, Éditions du sous-sol

Résumé : Fauvel a perdu un œil suite à un tir de LBD. Elle accepte de garder la chienne du père d’une de ses amies dans une maison isolée à la campagne. Hannah n’est pas un chien comme les autres, c’est le clone d’une première Hannah, qui trône empaillée au milieu du salon. Elle suscite les peurs et les reproches muets du village, à mesure qu’on découvre au matin des animaux massacrés, et qu’elle-même rentre parfois ensanglantée.
Cette situation est le point de départ d’un récit de traque et de cauchemar délicatement progressif, la plupart du temps fantomatique. Jamais l’assaillant n’est clairement nommé, jamais la cible n’est clairement identifiée. Fauvel sait être une proie, mais de qui ? Dans le village, un groupe de chasseurs, tous ouvriers ou anciens ouvriers de l’usine d’eau minérale, peu loquaces et mal lotis par la vie, font naître les fantasmes, tantôt sexuels, tantôt horrifiques. Et plus particulièrement chez Fauvel, coupée du monde par sa conscience éparpillée, et chez Mitch, un jeune sociologue qui enquête sur les récits d’enlèvements par les extraterrestres, nombreux dans la région, surtout chez les anciens ouvriers de l’usine.
Au fil d’une pseudo-enquête hallucinée, le roman explore les notions de domination, d’animalité et de violence. À travers la proximité, voire l’amalgame entre animaux et humains, Aliène questionne la nature de ce qui est caché, la vie animale, et surtout l’instinct de peur. Tel est le véritable fil du récit, rarement traité avec autant de nuance et de force.
Les sept lunes de Maali Almeida / Shehan Katunatilaka, Calmann-Lévy

Résumé : « Chaque âme a le droit d’errer sept lunes dans l’Entre-Deux. Pour se souvenir de ses vies passées. Et ensuite, pour oublier. Ils veulent que vous oubliiez. »
1990, Colombo. Alors que la guerre civile au Sri Lanka est à son apogée, le photographe de guerre Maali Almeida se réveille dans un grand bureau céleste. Une employée harassée l’informe brusquement qu’il est mort, son cadavre gît dans les profondeurs du lac Beira. Depuis cet Entre-Deux, une dernière chance s’offre à lui : Maali dispose d’une semaine – sept lunes –, pour résoudre le mystère de son propre meurtre et révéler des clichés qui changeront le cours de ce conflit sanglant et sans merci.
Il se lance alors dans une enquête rocambolesque au coeur de la capitale sri-lankaise avant que son témoignage sur des atrocités ne tombe entre de mauvaises mains, ou pire, dans l’oubli.
S’inspirant du folklore et de la mythologie du Sri Lanka, Shehan Karunatilaka brosse un portrait kaléidoscopique des vivants et des esprits, personnages romanesques ou figures historiques, qui cherchent tous vengeance ou vérité.
Élixir / Kapka Kassabova, Marchialy

Résumé : 742. C’est le nombre de plantes médicinales qui poussent dans la vallée de cette montagne bulgare à l’écosystème préservé. Des plantes de toutes tailles, formes et couleurs que nous retrouvons ensuite vendues dans l’Europe entière. Encore faut-il qu’il reste des hommes et des femmes capables de les trouver, les reconnaître, les cueillir.
Kapka Kassabova part à la rencontre des dernières personnes qui détiennent ce savoir oral ancestral et entretiennent une relation intime avec la montagne. Ils lui servent de guides dans sa quête de l’élixir au cours de laquelle elle croisera la route de voyants, poètes et guérisseurs. Elle rassemble leurs connaissances – recette de remèdes, mythologie des plantes et de la montagne, rituels magiques – dans une ode lumineuse à la nature qui est aussi une injonction à repenser notre rapport à la terre.

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