
« J’avais un rêve, c’est qu’ils me laissent marcher et marcher encore juqu’à ce que je perde conscience ! J’aurais vouloir pouvoir tenter cette expérience pour savoir où me conduiraient mes pas. »
Témoigner, encore et toujours, pour exorciser et ne pas condamner son pays à l’oubli, voilà une mission que s’est donnée Samar Yazbek depuis son exil forcé.
Née en 1970 à Lattaquié (Syrie), écrivaine, journaliste et scénariste, Samar Yazbek est issue de la minorité alaouite (tout comme le président Bachar Al Assad). Elle s’installe avec sa fille à Damas en 1997. Choquée par les exactions commises sur la population, notamment par la visite d’une prison censée rallier la minorité alaouite à la cause du président, elle prend part aux manifestations pacifiques contre Al Assad au printemps 2011. Ses prises de position lui valent d’être retenue par la police syrienne, ce qui l’a contraint à s’exiler à Paris depuis 2011. elle a fondé un journal Women for Syria, et l’ONG Women Now For Development qui vient en aide aux femmes syriennes à travers l’éducation et le développement du sens critique.
Dans son roman La marcheuse, paru aux éditions Stock en 2018, nous suivons l’histoire de Rima, jeune femme syrienne pour le moins atypique : elle ne peut s’arrêter de marcher, et ne fais jamais entendre sa voix sauf dans certains cas exceptionnels. Elle n’est pas muette, mais ne peut parler, symbole de l’oppression que subissent les femmes en Syrie, condamnées au silence et entravées dans leur mobilité.
Elle marche, sans arrêt, partout, ce qui oblige sa famille, sa mère notamment, à l’attacher constamment par un fil au poignet aux meubles ou à d’autres personnes pour ne pas la perdre. « Mon cerveau se trouve dans la partie inférieure de mon corps et je ne peux interrompre cette bougeotte agaçante de mes pieds ». Rima marche pour penser, pour digérer ce qui l’entoure, telle une disciple d’Aristote.
Isolée des autres car considérée comme anormale du fait de sa double spécificité, elle n’est pas scolarisée, et découvre le monde enfermée dans la bibliothèque de l’école dans laquelle sa mère fait des ménages. Soual, bibliothécaire se prend d’affectation pour la petite « muette » et lui fait son éducation culturelle et artistique.
Rima est pétrie d’imagination et c’est cette imagination avec laquelle elle tente de protéger de la violence insoutenable qui va la frapper : contrôlées à un check-point sa mère est tuée, Rima est récupérée par son jeune frère, combattant rebelle qui l’emmène dans la Ghouta où se produira en 2013 une attaque chimique contre la population.
Nous avons accès à ses pensées directes dans ce qui semble être un journal rédigé au fur et à mesure avec ce qu’elle trouve, puis réfugiée dans une cachette dont on sait que l’issue ne sera pas positive. Elle nous raconte sans filtre, en nous apostrophant directement, et par à-coups, digressions artistiques et réminiscences spontanées ce qu’elle a vécu, son expérience de civile plongée dans les tourments d’un conflit atroce.
Par ce tour de force poétique et narratif, Samar Yazbek nous fait partager par la fiction sa propre expérience de femme dans le monde arabe, et nous expose à la violence des conflits sans une goutte de sang. C’est aussi un message fort qu’elle veut faire passer, celui de la victoire de l’imaginaire et de la vie contre la mort et la guerre.
La marcheuse, Samar Yazbek. Editions Stock, 2018.
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