
« Abel se réveille, agité, le corps compressé par la vivacité du cauchemar, cherchant une respiration comme après avoir bu la tasse, redressé dans le noir de sa chambre, il se met à compter à rebours, quatre-vingt-treize, quatre-vingt-douze, quatre-vingt-onze…Faisant défiler les chiffres à toute allure comme ceux d’une horloge détraquée, puis lentement, pour tenter de calmer l’étau familier du rêve. On peut faire le même cauchemar pendant vingt ans, la terreur reste identique, jeune, cette terreur conserve, au fil du temps, la même fraîcheur. »
Voilà un roman assez inclassable, qui m’a procuré un grand plaisir de lecture ! On pourrait le résumer assez sommairement comme un polar barré dans le milieu de l’art contemporain, un tourbillon drôle, caustique et terriblement tragique à la fois.
Claire Berest nous plonge à nouveau dans le monde de l’art, mais cette fois-ci non pas pour nous narrer une tranche de vie de la grande artiste Frida Kahlo comme dans Rien n’est noir, mais pour nous plonger dans un univers barré dont elle seule a le secret. Surprenant, contemporain, et truffé de références artistiques, un vrai bonheur.
Une histoire, ou deux, ou trois…
D’un côté Abel Bac, policier exemplaire, garçon poli et propre sur lui, se retrouve suspendu de ses fonctions du jour au lendemain sans savoir pourquoi. Déstabilisé, cet insomniaque tourmenté perd totalement pied lorsque de curieux événements se produisent, comme un cheval blanc retrouvé en pleine nuit dans le centre Pompidou, et de curieux messages semblent lui être adressés. Il en est sûr, ces incidents ont un lien direct avec lui.
Ce taiseux qui ne sait aimer que sa collection d’orchidées va trouver une aide singulière dans la résolution de cette enquête, en la personne d’Elsa, voisine fantasque et délurée, mais aussi trouver un soutien indéfectible en sa collègue Camille, qu’il ne laisse absolument par indifférent.
De l’autre Mila, pseudonyme d’une superstar de l’art contemporain version performance trash. Son visage et son nom sont inconnus de tous sauf de son grand ami et avocat, soutien sans faille et manager de cette boule d’énergie ingérable. Ce jeu de dupes la lasse, il est temps pour elle de préparer sa plus belle œuvre, un happening incroyable dans les musées parisiens, une façon de finir sa carrière en feu d’artifice et de tirer définitivement un trait sur les traumatismes profonds qu’elle porte en elle.
Évidemment ces deux personnages hors-norme sont liés, mais comment, je vous laisse le découvrir en vous laissant porter par ce récit foutraque et pourtant très maîtrisé, où l’on croise Marina Abramovic, Edward Munch, Millais, ou Tracey Emin…Et même Jean de la Fontaine.
On embarque dans cette folle aventure grinçante et décalée, avant de se laisser happer par la tension grandissante qui nous prend lorsque les pièces du puzzle s’imbriquent progressivement devant nous. J’aimerais vous en dire tellement plus mais je me retiens, car une foule de surprises et détails se nichent dans ce merveilleux roman ! Et pour ne rien enlever au plaisir, la couverture est magnifiquement décorée par la talentueuse Aline Zalko.
Artifices, Claire Berest. Stock, 2021.
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