
« Nous débarquons en ce monde avec une feuille de route et une carte enfouie au fond du cœur, mais rien ne nous prépare vraiment à ce saut brutal dans le monde des vivants. »
Il est des rencontres littéraires qui vous bouleversent, vous marquent. Vous ouvrent de nouveaux horizons sur la vie, les mots, la poésie.
Joy Harjo fait partie de ces autrices que je découvre, et dont je n’ai qu’une hâte : dévorer compulsivement tous ses écrits. C’est une poétesse, une magicienne des mots, son style est sensuel, mystique, puissant. Une tornade littéraire, qui me donne envie de la découvrir en langue originale.
Amérindienne, née d’un père Creek et d’une mère Cherokee, Joy Harjo est la descendante d’une lignée de guerriers, de révoltés, qui vivent encore et vibrent en elles. Elle a choisi l’art, sous plusieurs formes pour s’exprimer : musique, poésie, peinture, danse, théâtre..
Crazy Brave raconte son enfance à Tulsa, ses luttes et le parcours initiatique qu’est sa vie. Le titre, traduction en anglais de son nom Creek « Harjo », a déterminé son destin : si courageuse qu’elle en est folle. Folle de se battre, de tout faire pour sortir de sa condition, et refuser de vivre la seule issue probable qui l’attend, finir battue par un mari violent.
On découvre la vie de ses ancêtres, ses anciennes vies à elle, dont elle rêve parfois, et sa vie actuelle, qui débute de manière brutale et tragique. Joy voit sa mère battue par son père, puis par son nouveau beau-père dont le comportement équivoque la pousse à fuir loin de ce foyer qui l’asphyxie. Son salut, une école indienne à Santa Fe qu’elle intègre adolescente en 1967. Elle y découvre le jazz, les Doors, la création libre et l’amour.
« Au fil de nos travaux artistiques, de nos événements culturels, de nos luttes avec l’héritage familial et tribal, il devenait clair que nous étions à l’aube d’une fabuleuse renaissance culturelle autochtone, au bord d’une explosion d’idées qui façonneraient l’art indien contemporain pour des années. Nous faisions des étincelles. »
Tombée enceinte à 16 ans, elle vogue ensuite de galère en galère toujours pleine de ressources et d’espoir, et nous partage ses doutes, ses peines, sa lutte pour vivre.
Joy Harjo dans ce récit autobiographique d’une poésie folle, dur mais beau, nous raconte aussi la souffrance des peuples amérindiens massacrés, humiliés, mis au banc, et parqués, et surtout celle des femmes amérindiennes, grandes oubliées.
« Dans l’imagerie populaire américaine, les guerriers sont toujours des hommes […],et quand on parle de guerriers indiens, il s’agit en général d’Indiens des Plaines avec des coiffes de plumes. Qu’en est-il des guerriers contemporains ? Que dire des épouses, des mères, des filles dont les petits sacrifices quotidiens et le courage ne sont habituellement ni reconnus ni récompensés ? »
Crazy Brave, Joy Harjo. Editions Globe, 2020.
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