
« Notre histoire était pourtant unique, et sublime. À force qu’il me le répète, j’avais fini par croire à cette transcendance, le syndrome de Stockholm n’est pas qu’une rumeur. Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle pas aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ? Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne. »
J’ai longtemps hésité avant de lire cet ouvrage. Peur de ce qu’il contenait, peur d’être trop bouleversée, d’un exhibitionnisme qui me gênerait… Et puis je l’ai ouvert, je m’y suis plongée, et je n’ai absolument pas regretté.
Le sujet de ce premier roman de Vanessa Springora, écrivaine et éditrice, a été médiatisé, débattu, mis en lumière, et c’est tant mieux. Dans cette période de #metoo, où l’on peut recevoir un césar alors que l’on est accusé de viol sur mineur par plusieurs plaignantes, son témoignage est essentiel, d’une intelligence et d’une lucidité incroyables.
Elle nous livre, en chapitres qui sonnent comme les actes d’une pièce de théâtre répétées maintes et maintes fois, les étapes de l’opération de prédation effectuée sur elle par Gabriel Matzneff, alors qu’elle avait treize ans et lui cinquante. L’approche, la fusion « amoureuse », les demandes sexuelles pressantes, le désintérêt puis l’abandon pour d’autres conquêtes, qu’il entretient simultanément. Une machine bien huilée, qui porte un nom simple et clair : la prédation sexuelle sur mineur. D’autant plus qu’il ne choisit pas ses victimes au hasard, préférant les jeunes adolescent.e.s fasciné.e.s par la littérature, et au parents, ou adultes vigilants proches, absents.
Elle décrypte les mécanismes de cet homme dangereux que pourtant les adultes portent aux nues, ce doux séducteur au goûts amoureux si provocants, si osés. Il n’aime que les jeunes gens, quelle originalité ! Et quelle vigueur ! Et puis personne ne s’est plaint ! Des réactions qui donnent la nausée, et qui troublent profondément. Au nom de la liberté, on laisse faire le pire, et même les plus grands intellectuels français se mettent à défendre l’indéfendable.
Aucune personne adulte de l’entourage de la jeune V., qu’il soit familial, scolaire, médical, ne la protégera, ne l’aidera, ne la sauvera. Elle est absente quasiment une année scolaire ? Elle est hospitalisée pour des douleurs soudaines diffuses ? Elle déserte le foyer parental ? Aucune réaction ou presque. Personne ne souhaite voir ce qui se passe, et pourtant tout le monde est au courant.
Elle décrit enfin les effets post-traumatiques de cette « relation », sa difficile reconstruction, son rapport aux hommes et au sexe, les marques qu’elle portera à jamais. Car ce qu’elle a vécu est terrible, d’autant plus terrible qu’elle s’est longtemps cru amoureuse. Il faut du temps pour se rendre compte que l’on est victime, que ce n’était pas consenti, et que l’on a été abusée.
Le consentement, Vanessa Springora. Grasset, 2020.
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