La conversion / James Baldwin

« Elle avait porté son regard vers les rues ensoleillées et paisibles et, pour la première fois de sa vie, elle s’était mise à détester tout ça – cette ville de Blancs, ce monde de blancs. »

p.259

Paru en 1953, La conversion ( paru sous le titre originel Go tell it to the mountain) est le premier roman de James Baldwin, et déjà les thématiques, réflexions, et questionnements qui traverseront toute son œuvre y sont présents.

James Baldwin, penser l’oppression pour mieux la déconstruire

Né en 1924 dans le quartier new-yorkais de Harlem, James Baldwin connaît une enfance difficile et violente. Abusé par des policiers Blancs durant son enfance et son adolescence, il se tourne vers la religion et devient prêcheur à quatorze ans. Il s’éloigne ensuite de la religion, qui fut selon ses dires une aide pour surmonter ses crises personnelles.

Il quitte les Etats-Unis pour la France à ving-quatre ans, pour fuir la ségrégation et exister autrement que par sa couleur de peau et les barrières qu’elle lui impose, mais s’impliquera activement dans les luttes pour l’obtention des droits civiques. Il n’aura de cesse toute sa vie de déconstruire le mythe américain du « nègre », et de dénoncer son utilisation pour oppresser les populations Noires aux Etats-Unis. Romancier, essayiste, dramaturge, poète, James Baldwin a profondément marqué les milieux intellectuels et artistiques qu’il a fréquentés. Son dernier essai inachevé, I am Not your Negro, a inspiré au réalisateur Raoul Peck un documentaire passionnant .

La conversion, ou le début de l’engagement

Fortement inspiré de la vie de James Baldwin, ce roman nous plonge dans une Amérique ségrégationniste, raciste et violente où la religion devient un exutoire pour la population Noire américaine, rejetée, agressée, et brisée dans ses espoirs. On y découvre également la difficulté de penser et de vivre son homosexualité, et le poids des drames familiaux antérieurs dans la construction d’un individu.

« Tout le monde avait toujours dit que John deviendrait prédicateur quand il serait grand, comme son père. Et les gens le lui avaient tellement répété que John, sans y avoir vraiment réfléchi, en était venu à le croire. Il fallut qu’arrive le matin de son quatorzième anniversaire pour qu’il se mette à réfléchir sérieusement, mais, là, il était déjà trop tard. »

p.11

Le jeune John Grimes vit dans la pauvreté avec sa famille à Harlem. Son père est prêcheur, sa mère très pieuse, la religion règle leurs vies. Il sera prédicateur comme son père. Le jour de son anniversaire, une suite d’événements plonge John dans une profonde introspection sur le sens à donner à sa vie, introspection dont le point d’orgue est une révélation mystique de foi, épiphanie libératrice des non-dits qui pèsent sur sa famille.

Car dans la société américaine des années 1930, le seul salut à attendre lorsque l’on est né Noir.e est la vie éternelle dans un au-delà où les souffrances cesseront, et commencera une nouvelle vie libre. Sur des générations pèsent le poids encore présent de l’esclavage, et une incroyable violence raciste sociétale systémique qui empêche toute ambition personnelle, toute liberté d’agir et de penser.

Rappelons à toute fin utile que les lynchages de personnes Noires américaines au début du XXe siècle aux Etats-Unis étaient un « divertissement » familial pour une partie de la population, et que l’on emportait un souvenir, souvent une petite partie du corps du supplicié… Voir son mari, son fils, son cousin, son ami disparaître du jour au lendemain et retrouver sa dépouille torturée à mort sans raison était monnaie courante, créant une peur et une méfiance permanente pesante et présente dans le roman.

C’est l’histoire d’un peuple brimé et martyrisé sur des générations que nous décrit Baldwin, mais un peuple qui lutte, survit, et croit malgré tout en des jours meilleurs. C’est aussi l’histoire d’un jeune homme qui lutte aussi, pour devenir lui-même, et trouver la force d’exister et d’être reconnu.

La conversion, James Baldwin. Rivages, 1999.

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