
« On a mal au dos aux bras partout mais on y croit à la fin du jour du mois
Au pognon pris sur nos maux sur nos dos ou nos bras
Il y a la nuit sans fin dans d’infinis couloirs […]
ça va au fond
Un travail a toujours valu un travail »
p.228
En janvier 2019 les Editions de la Table Ronde publient un premier roman comme on en voit rarement. Un ovni, une pépite, qui vous bouscule, vous ébahit, et vous émeut. L’auteur, Joseph Ponthus est travailleur social, et a pris sa propre expérience comme matière première à cet ouvrage unique, tant sur la forme que le fond. Ecrit en vers libres, saccadés, scandés, la poésie du texte vient renforcer et magnifier la dureté du vécu.
Par amour, il part s’installer en Bretagne sans trop s’inquiéter, il trouvera forcément travail dans sa branche. Mais les offres viennent à manquer, il faut bien vivre, et il se tourne provisoirement vers l’intérim. Le voici devenu ouvrier, dans des conserveries de poisson, puis d’abattoirs, au gré des missions qu’on lui propose.

Joseph vit dans son corps, dans sa chair, mais aussi dans son esprit la dureté de ces postes en usine, physiques, éreintants, aux horaires impossibles qui minent sa vie sociale et sentimentale. Le provisoire dure, s’installe, et Joseph tente d’oublier ses journées à la chaîne dans ses moments volés hors du travail : les promenades avec son chien, l’air de la mer, l’héritage culturel de sa vie d’avant, celle où il lisait Apollinaire, Dumas, parce qu’il le pouvait. Et dans de journal qu’il tient, où il nous livre ses pensées, de plus en plus fragmentées au fil des mois, écrasées par le poids du rythmes de travail décousu et saccadé.
« J’écris comme je travaille
A la chaîne
A la ligne »
p.15
C’est un roman sur l’aliénation du travail par l’exploitation des plus fragiles, les ouvrier intérimaires, victimes sans voix car suspendues au bon vouloir des missions. C’est un roman sur la brutalité et la violence du travail sur le corps et l’esprit. On se blesse, on s’abîme, on souffre, on s’oublie, trop abattu.e par les heures dans le froid à porter, à traîner et porter des charges surdimensionnées. On s’égare, on s’évade, on veut oublier en rentrant.
Mais c’est aussi un roman sur la solidarité et l’amitié entre exploités, ces petits instants hors du temps où l’on souffre, respire et chante à l’unisson. On ne forme plus qu’un, siamois muets de conditions insoutenables.
A la ligne, Joseph Ponthus. Editions de la Table Ronde, 2019
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