
« C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie ! »
slogan des ouvriers lip en lutte
Besançon, Avril 1973. Les mille trois-cent salariés de la manufacture horlogère Lip sont sous le choc : leur dirigeant Jacques Saint-Esprit démissionne, et dépose le bilan. A l’incompréhension et la surprise succède la colère. Un mouvement collectif de lutte, qui regroupe syndiqués et non syndiqués, engage un bras de fer avec la direction pour empêcher les licenciements, et le démantèlement de l’entreprise.
Une lutte collective et autogérée
Des mois de grèves, d’actions, et de manifestations, avec un point d’orgue le 29 septembre 1973, où près de cent mille personnes venues de toute la France défilent à leurs côtés en soutien.

Mais si cette lutte reste encore aujourd’hui dans les annales, c’est également par la mise en place d’actions originales et constructives : ayant découvert le plan de licenciement massif qui leur avait été jusque-là caché, les salariés reprennent le contrôle de l’usine, fabriquent des montres, et les vendent de manière sauvage eux-mêmes. Un modèle d’autogestion digne des plus grands rêves des mouvements anarchistes ouvriers du début du XXe siècle. L’affaire Lip prend une tournure nationale lorsque les ouvriers sont chassés de l’usine en août 1973 par les forces de l’ordre, et que le gouvernement de l’époque apporte son soutien aux actionnaires et dirigeants.
Reprise en mars 1974 par Claude Neuschwander, l’usine est à nouveau menacée, et en 1976 les ouvriers occupent à nouveau l’usine horlogère et relancent la production de montres. Si l’usine Lip est liquidée le 12 septembre 1977, ces années de mobilisation massives seront érigées en modèle pour bien des luttes futures.
Raconter la mobilisation dans ce qu’elle a d’intime
C’est de cette fabuleuse matière, ayant fait l’objet de nombreux livres et documentaires, dont s’emparent Laurent Galandon et Damien dans cette bande dessinée qui nous permet revivre cette aventure aux côtés des ouvriers. En créant le personnage de Solange, ouvrière O.S. sans histoire, non syndiquée, qui découvre la lutte, le pouvoir du collectif et la force de la solidarité, cette tranche d’histoire prend vie de manière touchante et humaine.

Nous suivons Solange, l’évolution de son engagement, et la remise en cause d’un ordre établi oppressif autant sous le prisme de l’employée, que de la femme. Si elle est fictive, son combat résume parfaitement la vie de ces centaines de personnes, héros ordinaires de situations extraordinaires qui ont su se battre pour défendre la justice et la dignité des travailleurs.
Les doux dessins tout en ton de gris de Damien Vidal viennent appuyer le scénario finement construit de Laurent Galandon, pour revivre aux côtés des Lip ces années incroyables.
Lip des héros ordinaires, Laurent Galandon et Damien Vidal. Dargaud, 2015.
Votre commentaire