
« J’ai commencé à écrire Le chant du poulet sous vide comme un conte, de la même manière que le marketing crée des contes, jusqu’à nous faire croire que les animaux que nous mangeons sont d’adorables bêtes, saines et dévouées, avec lesquelles nous avons une relation. »
Lucie Rico
Voilà un premier roman qui a tout d’un grand. Un conte absurde, cynique et poétique sur notre rapport à l’animal et à la nature. On rit souvent, jaune parfois, on est ému, on est fasciné et repoussé à la fois…Mais il ne nous laisse sûrement pas indifférent.
Paule a grandi à la ferme, dans une exploitation de volailles, aux côtés d’une mère taiseuse et bourrue. Ayant fui cette atmosphère étouffante dès qu’elle le put, la voici de retour dans ce village où elle a grandi, étrangère parmi des têtes pourtant connues.
Sa mère est morte en lui laissant l’exploitation et surtout une consigne précise : tuer Théodore, son poulet borgne fétiche : « il faudrait tuer Théodore, le borgne, je voudrais que ce soit toi qui t’en occupes. » Elle qui n’a pas mangé de viande depuis ses seize ans, la voici devant ôter la vie d’un innocent animal. Elle hésite, mais elle a promis à la mère. Paule s’exécute donc tant bien que mal , mais veut donner un sens à ce geste, garder une trace de cette vie volée…Elle lui rédige alors une biographie :
« Théodore naquit au milieu de vastes champs. De caractère libre et indépendant, malicieux, Théodore souffrait pourtant d’un handicap, un œil borgne, qu’il surmontait par son allure désinvolte et néanmoins racée. Théodore aimait marcher en rond tout en piquant l’herbe, jamais dans le même sens que ses congénères, courrant toujours à sa façon, comme s’il dansait. Il entretenait une relation particulière avec sa fermière, un lien d’intense amitié qui ne fut brisé que par la mort. »
Galvanisée par cet essai, elle vend son Théodore biographé au marché, premier d’une longue liste de sacrifiés rituels à finir sur les étals bardés sur les étals. Georges, Charles, Lolita, Bétail…Paule prend goût à cette vie à la ferme entourée de ses poulets qu’elle observe et bichonne. Elle trouve presque en eux une famille de coeur, elle qui peine à comprendre les humains.
A l’indifférence première des concitoyens du village succède une hostilité grandissante pour cette fille de la ville qui ne veut rien faire comme personne, et a des lubies glauques. Heureusement apparaît Fernand Rabatet, commerçant au flair indéniable qui lui comprend la poésie et la beauté de sa démarche. Il faut se développer, se diversifier, et Fernand sera l’homme providentiel, ils vont changer la face du poulet fermier de supermarché !
En bref une fable douce-amère qui nous questionne sur notre propre rapport à la consommation, et nous montre jusqu’au nous sommes prêts à nous inventer des histoires pour éviter de voir la réalité en face. Lucie Rico signe ici un roman délicieux à savourer…Parsemé d’une bonne dose de second degré.
Le Chant du poulet sous vide, Lucie Rico. Editions POL, 2020
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