Bad feminist / Roxane Gay

« La culture qui traite les femmes comme des objets, qui soutient joyeusement des formes de divertissement majoritairement dénigrantes envers les femmes et qui encourage l’érosion de l’autonomie des femmes et de leur espace personnel, est la même culture qui élit des législateurs travaillant sans relâche à faire des lois qui restreignent l’avortement. Ou bien les législateurs qui oeuvrent ardemment à faire des lois limitant l’avortement encouragent-ils leurs électeurs à traiter les femmes comme des objets ? »

Professeure, autrice, scénariste, dramaturge et militante féministe, Roxane Gay partage dans ses textes sa vision inclusive et intersectionnelle du féminisme, en se décrivant comme une « bad feminist », en fait simplement une personne normale avec ses contradictions et ses failles, mais qui lutte pour un monde meilleur. Elle avertit contre le biais de perfection que l’on applique aux femmes se disant féministes (ou non d’ailleurs), et le risque de division contreproductive que cela entraîne.

Féministe oui, avec ses qualités et ses défauts

Bestseller aux États-Unis, son essai paru en 2014 regroupe des essais et réflexions qui s’appuient sur ses propres expériences et sur des exemples personnels de pop culture (Girls, Sweet Valley, Green girl, téléréalité, série Orange is the new black, Robin Thicke, Cinquante nunaces de Grey, Hunger games…Avec une mention spéciale pour son analyse juste et cinglante du roman et film à succès La couleur des sentiments). Roxane Gay y mêle des analyses lucides en y appliquant des essais et théories pour montrer quel impact cela a sur nous, le fonctionnement de la société et ce que cela dit d’elle.

Dans cette conférence TEDX (en anglais) de 2017, elle résume l’objectif de ce livre de manière simple et inspirante :

Des tas de concepts sont abordés dans cet ouvrage : la culture du viol, le racisme systémique, la sexualité, le sexisme, la violence acceptée dans nos sociétés, la compétition entre femmes et le manque de sororité. Cet essai est intéressant de par sa date de sortie, car il aborde des problématiques qui sont aujourd’hui sur le devant de la scène, notamment les violences et violences sexuelles faites aux femmes, et son acceptation implicite par une partie des élites dénoncées par le mouvement #metoo notamment.

Elle étudie et décortique entre autres des textes « féministes » parus au début des années 2010 aux Etats-Unis et encensés par la critique, car ils balayent d’un revers de main problèmes du sexisme et de la violence envers les femmes. Elle transmet également son inquiétude quant aux restrictions de libertés dont sont victimes les femmes, en ce qui concerne par exemple l’accès simplifié et sûr à une contraception abordable et au recours à l’IVG, sujet encore problématique pour bon nombre, ne serait-ce qu’aux Etats-Unis, mais aussi en Europe où ces droits sont fragilisés et parfois menacés.

Romancière, elle aborde aussi la littérature, et montre que les personnages masculins et féminins ne sont pas perçus de la même manière, les personnages masculins antipathiques, les anti héros masculins étant perçus comme humains tout simplement, brillants de complexité et reflet de notre profonde nature  humaine, alors que les personnages féminins imparfaits et sans capital sympathie sont automatiquement décriés car ils ne correspondent pas à que l’on attend d’une femme. Elle montre également la sous-rprésentation des plumes féminines dans la « grande » littérature, et la différence de traitement entre l’oeuvre d’un auteur ou d’une autrice lorsque cela aborde des thématiques sociales et domestiques. Elle revendique enfin le droit de lire de la romance, d’aimer les contes de fées et tout ce qui est décrié car considéré comme féminin.

Roxane Gay parle du rapport au corps, de l’obsession des femmes pour leur corps, des diktats sociétaux autour de la minceur et de l’impact que cela a sur les femmes, dont cette préoccupation occupe une bonne partie des pensées, jusqu’à tourner à l’obsession. Et comme le démontre brillamment Mona Chollet dans l’incontournable Beauté fatale, le temps pris par les femmes a être obsédées par leur apparence est du temps en moins pour réfléchir a cette aliénation, et aux travers du monde dans lequel elles vivent. Le rapport particulier qu’elle-même entretient avec son corps est abordé avec sincérité de manière bouleversante dans Hunger par le prisme de son histoire personnelle, dont vous pouvez retrouver ma chronique ici, parue il y a tout juste un an.

Enfin, elle démonte la théorie d’un féminisme parfait, essentialiste et rigoureux qui se définirait par des codes moraux stricts et rigides. Elle qui pourtant est militante se dit parfois se sentir une mauvaise féministe de par ses goûts musicaux, ses lectures, sa passion pour le rose et les magasines féminins…Elle invite à ne pas juger l’autre mais à se soutenir dans cette lutte pour les droits et la liberté des femmes, en respectant les carriéristes tout comme les mères au foyer, les minimalistes tout comme les fashion-addict, et en ne perdant pas de vue le prisme raciste, héténormatif et classiste de certains « féminismes ».

J’aime particulièrement la finesse de ses réflexions, mêlée a cette grande accessibilité qu’elle offre sur elle-même, ces confidences personnelles qui la rendent humaine et proche de soi. Roxane Gay, par sa verve, son authenticité, ses réflexions et son humanité est un bel exemple d’un féminisme humaniste et inclusif.

Pour terminer, voici une rencontre (en anglais) entre Roxane Gay et Rokhaya Diallo filmée lors du festival suisse féministe Les Créatives en novembre 2020 :

Bad feminist, Roxane Gay. Editions Points, 2019.

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