bell hooks / Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminismes

[…]« Je pouvais travailler autant qu’un homme (lorsque je trouvais du travail) ainsi que supporter tout autant le fouet ! Et ne suis-je pas une femme ? J’ai mis au monde cinq enfants, et vu la plupart d’entre eux être vendus comme esclaves, et quand j’ai pleuré avec ma douleur de mère, personne à part Jésus ne m’écoutait ! Et ne suis-je pas une femme ? »[…]

Extrait du discours de la militante abolitionniste et féministe Sojourner Truth, prononcé en 1851 lors de la Convention des droits des femmes

Par sa pensée, ses nombreux travaux sur le sujet et sa vision, bell hooks est une voix majeure du féminisme afro-américain, et a contribué grandement à la pensée féministe moderne. Née Gloria Jean Watkins en 1952, elle vit la ségrégation raciale aux Etats-Unis, et le fait de grandir pauvre, femme et noire a nourri les réflexions et engagements qu’elle mène depuis. Elle prend le nom de plume de bell hooks en accolant les noms de famille des femmes de sa famille pour décentrer l’attention sur sa personne. Intellectuelle, militante féministe, son travail porte sur les relations entre la classe, le genre et la race dans les mécanismes de domination et d’oppression, et comment ils se maintiennent et perdurent.

Ne suis-je pas une femme ? Un tournant dans la pensée féministe intersectionnelle

Cet essai, écrit lorsqu’elle était encore étudiante et paru en 1981, est un incontournable. Riche, très sourcé et pourtant assez accessible, elle y développe une critique virulente d’une partie du féminisme américain blanc dans son histoire même, qui refuse de voir le sexisme subi par les femmes noires, ne les considère qu’à travers prisme du racisme, réfute l’imbrication pourtant claire du genre et de la couleur de peau dans les discriminations, et définit implicitement le terme femme par « femme blanche » dans ses textes. On peut élargir cette réflexion à toutes les femmes dites des « minorités visibles ».

En retraçant l’Histoire des femmes noires sur le continent américain, qui débute par l’esclavage et leur arrivée captives sur les côtes américaines, bell hooks revient sur le traitement terrible pour ces femmes qui deviennent des reproductrices, sont agressées sexuellement, rabaissées et exploitées physiquement pour des tâches agricoles comme les hommes, mais également pour des tâches domestiques. Leur valeur marchande est moindre, mais augmente lorsque l’on voit les bénéfices possibles en les utilisant contre leur gré pour mettre au monde de la future force de travail asservie.Comme le dit si bien Linda Brent, ancienne esclave, dont le témoignage est cité : « L’esclavage est terrible pour les hommes, mais il est bien plus terrible pour les femmes. S’ajoutent au fardeau commun à tou.te.s les maux, les souffrances et les humiliations qui leur sont propres.« 

Les conséquences seront multiples, et bien après l’abolition de l’esclavage bell hooks montre en quoi cela a eu un impact sur la dévalorisation systématique de la féminité noire, sur les discriminations appliquées spécifiquement aux femmes noires, et explicite le rôle des médias dans la perpétuation de ces stéréotypes délétères dans un système capitaliste et patriarcal raciste. Vous vous doutez qu’une pensée aussi affirmée a provoqué de nombreuses critiques, notamment parmi les mouvements conservateurs.

Cette vision est approfondie et encore plus travaillée dans un second essai paru en 1984, Théorie féministe : de la marge au centre, édité en France chez les Editions Cambourakis.

Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme, bell hooks. Editions Cambourakis, 2015.

Que lire d’autre ?

bell hooks a publié près d’une trentaine d’ouvrages, qui ne sont pas tous traduits en français malheureusement. Voici, de mon humble avis, d’autres parutions pour approfondir sa vision du blackfeminism et du féminisme intersectionnel, mais pas que, sa pensée englobant également des réflexions autour de la sexualité, du racisme, et du capitalisme.

Apprendre à transgresser : bell hooks accorde une grande importance à l’idée d’éducation populaire et de sens critique, et nous donne des pistes dans ce recueil d’essais, dans une perspective féministe et antiraciste. L’émancipation doit venir par l’éducation. Inspirée par le penseur de la pédagogie critique Paulo Freire, elle mêle expérience personnelle et réflexions sur le système éducatif pour imaginer une autre manière d’enseigner, « comme pratique de la liberté ». Un livre à conseiller aux enseignant.e.s, mais aussi à toutes celles et ceux que ces questions intéressent.

Apprendre à transgresser, bell hooks. Editions Syllepse, 2019.

Tout le monde peut être féministe : un essai accessible sur les questions touchant au féminisme, une bonne introduction à des théories parfois complexes, dans lequel bell hooks revient sur les combats du féminisme contemporain achevés et à mener encore aujourd’hui, et qui permet d’expliquer simplement et clairement en quoi le système patriarcal raciste et homophobe dans lequel beaucoup d’entre-nous vivent doit disparaître au profit d’une société plus égalitaire.

Tout le monde peut être féministe, bell hooks. Editions Divergences, 2020.

Vous trouverez également ici quelques textes plus courts en accès libre, dont notammment « Ce qui se passe quand les Blanc.he.s changent », un appel à soutenir les initiatives antiracistes des personnes qui ne sont pas directement touchées par cette oppression.

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