
» Elle est exclusive et acharnée. La forêt est sa loi. Les ombres sont l’échiquier. Son règne descend des temps anciens et elle en est fière. Elle refuse d’admettre qu’en ces lieux rien n’est acquis ni ne dure. Pourtant, elle n’est pas seule à chercher la lumière ici-bas. Tous les jours, elle besogne, elle chasse, elle dévore et troque ce qu’elle tue. Ses membres sont bruyants mais avisés. Pour ne pas s’entretuer, ils se tiennent comme un seul corps. Et quand ils rient, la terre tremble. »
Quel plaisir de retrouver Christian Guay-Poliquin et sa plume dans ce nouveau roman qui est un grand coup de coeur pour moi, et que, fait rare, je prendrai plaisir à relire pour me replonger dans son ambiance et en creuser encore plus les subtilités.
Histoire venue à lui lors d’un treck en pleine forêt gaspésienne, Les ombres filantes traite des sujets chers à l’auteur tout en les renouvelant. On retrouve un huis-clos tout en tension comme dans Le poids de la neige, mêlé à une lutte pour la survie dans Le fil des kilomètres. Mais ce qui frappe ici, c’est à quel point, dans des conditions extrêmes, ce n’est pas tant la forêt qui est un danger mais l’autre, cet inconnu, ou ce proche qu’on croyait connaître.
Promenons-nous dans les bois…
Une panne générale d’électricité a plongé l’humanité dans le chaos et a fait disparaître toute société, excepté certains îlots retranchés dans la forêt. Un narrateur seul, blessé, avance inexorablement vers son but en pleine forêt. Il doit rejoindre sa famille, terrée dans un refuge secret où ses oncles et tantes avaient coutume de se retrouver l’été, dans le monde d’avant. Ils sont partis sans lui, ils ne pouvaient pas le prendre avec eux à cause de sa blessure. La survie est rude, il rationne ses rations de nourriture, et dort là où il le peut, à l’abri des regards car il se sait une proie facile à dépouiller pour ses congénères.
Au tournant d’un chemin il fait une rencontre totalement inattendue, celle d’un jeune garçon d’une douzaine d’années, Olio, qui est seul mais ne semble pas apeuré. Ils se lient et avancent ensemble. Olio impressionne par son agilité, son intelligence et son assurance, mais trouble aussi par les zones de flou qui entourent son passé. Olio ment pour obtenir ce qu’il veut, Olio sait manipuler les adultes, mais impossible de ne pas s’attacher à lui, à ses failles, à ce besoin d’amour qui émane de lui.
De fil en aiguille ils croiseront toutes sortes de personnes comme eux, perdus dans cette nature luxuriante, avec en tête ce but à atteindre, la promesse de retrouver ses proches et un semblant de confort pour le narrateur…
Avis de lecture
C’est un roman puissant et beau sur la nature, on y est plongés avec les protagonistes et on avance avec eux. On pense évidemment à La Route de McCarthy, mais aussi aux récits de London, à Walden ou la vie dans les bois de Thoreau…Christian Guay-Poliquin renouvelle le genre du nature writing tout en le mêlant au post-apocalyptique, et y apporte une dimension moderne toute personnelle, tout en s’inspirant magnifiquement de grands classiques.
Il saupoudre finement des références mythologiques qui donnent également au roman un air de fable universelle sur l’humanité, et montre avec subtilité la querelle des générations, les conflits sur l’approche écologique de la vie, et le fonctionnement intrinsèquement lié de la peur et de la curiosité…
C’est enfin aussi un récit sur la famille, sur les liens du sang et leurs contrariétés, et ceux que l’on tisse, ceux de la famille choisie. C’est beau, c’est vibrant, et on partage pleinement la nature que traversent les personnages, au point d’avoir l’impression de sentir l’odeur de la terre humide, et des aiguilles de sapin… Un grand plaisir de lecture, édité par une maison d’édition de grande qualité, que je ne peux que vous recommander !
Les ombres filantes, Christian Guay-Poliquin. La Peuplade, 2021.