
– Et ta soeur, elle en est où, elle fait quoi ?
– Oh ma soeur, elle prend de la hauteur.
Sa soeur elle est partie rejoindre une communauté qui occupe une forêt menacée. Enfin, c’est ce qu’elle imagine, elle pense avoir reconnu ses yeux sur une photo d’article de journal. Des yeux clairs, profonds, un regard inimitable malgré la cagoule qui recouvre le reste du visage. Elles en sont persuadées sa mère et elle, elle est là-bas.
Une narratrice nous parle de sa sœur, partie vraisemblablement tenir le siège dans une forêt menacée tout un hiver, en ne laissant aucune traces. Aperçue sur une illustration d’article, mère et fille se raccrochent à cet espoir, et tentent d’y voir celle qui manque. Entre une mère qui rumine en permanence sur les choix de vie de ses filles et un père hyponcodriaque et égocentrique, s’élève cette voix qui tente de parler à l’absente, d’imaginer sa vie loin de tout dans le froid glacial et l’inconfort, mais aussi les rencontres et les moments de grâce qu’elle peut y vivre.
Çe roman parle si habilement de nos peurs, de nos envies, des choix que l’on fait dans la vie, de la pression sociale, mais aussi du pouvoir réparateur des arbres et de la nature. On réfléchit sur l’idée de marge, et sur nos modes de vie : ne serait-ce pas notre fonctionnement sociétal actuel le vrai problème, et la confirmité sociale qui crée un mode de vie totalement inadapté à notre planète ?
Il parle aussi des luttes, des occupations, des gens qui tentent d’inventer d’autres modèles, et de la possibilité de se choisir une identité, de renaître, malgré le poids familial et sociétal. J’ai tellement aimé la construction de cet ouvrage, la voix de cette narratice qui s’adresse à sa soeur et à nous en même temps, et le fait que chaque nouveau chapitre soit précédé d’une même question : Et ta soeur, elle en est où, elle fait quoi ?, qui n’est pas sans rappeler le besoin de situer les autre et de situer aussi, de se comparer socialement. Que répondre lorsqu’on vit une telle situation ?
Je vous recommande vivement cet ouvrage libre, généreux, malicieux et frais, qui nous guide, nous oriente pour mieux nous perdre, et nous donne envie de tout plaquer pour vivre en forêt. Nous aussi prenons de la hauteur, et faisons un pas de côté !
Et quelle belle découverte que Les éditions du Panseur, jeune maison d’édition dont je suis conquise aussi bien pour ce choix de texte, mais aussi par le soin apporté au livre en tant qu’objet, par son choix de papier, et sa couverture magnifiquement pensée !
Felis Silvestris, Anouk Lejczyk. Les éditions du Panseur, 2022.
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