
Il a dit : Un chant triste, sorte de cri du coeur. Comparable au blues. La langue innue presque chantée, aux intonations lentes, celles qu’on fait durer par des respires. Le manque de voyelles rend la langue impénétrable, comme un rappel à la nature, la dureté, l’écorce et les panaches.
Je découvre après de nombreuses années à lorgner dessus Naomi Fontaine, autrice Innue née dans la communauté de Uashat (Nord Canada), et j’en suis heureuse. Kuessipan, son premier roman est une suite de textes courts dans la vie du peuple Innu, pleins de grâce et de douleur. C’est sublime.
Une plongée dans la douleur et la dignité. Des portraits d’êtres complexes, et de situations de vie toutes différentes mais liées, croquées en quelques lignes. Il y a le grand-père que tout le monde pleure, le jeune homme parti vivre ailleurs, cette fille au ventre rond qui attend le retour de son compagnon.Il y a cette femme qui part camper pour se reconnecter avec ses ancêtres, mais aussi l’alcool, la dépression, la mort trop présente, par ce beau et jeune visage dont les yeux n’auraient pas dû se fermer définitivement si tôt.
C’est assez virtuose ces portraits courts mais qui en disent tant en creux sur les Innus, aussi bien leur passé douloureux que leur présent. A mi chemin entre la nouvelle et la poésie en prose, cette forme déroutante de prime abord se laisse très rapidement apprivoiser. Les mots sont pesés, choisis, et certains passages confinent à la poésie.
Il y a ces images fortes, ces visages, ces silhouettes, ces mains, ces paysages, et puis il y a en creux, à deviner presque entre les lignes la souffrance infinie d’un peuple qui a vécu colonisation, génocide culturel, et que l’on a parqué dans des réserves, véritables camps de prisonniers, après les avoir dépossédés des terres qu’ils ont toujours connu. Cette idée de brisure, de déconnexion à soi et son identité est totalement bouleversante. Et pourtant Naimi Fontaine raconte aussi la beauté des instants, la tendresse, l’espoir.
Les questions que soulève ce roman brillant sur les peuples autochtones ont été abordées lors de plusieurs tables rondes durant le Festival America qui se tenait en septembre dernier à Vincennes, vous pouvez les visionner à cet endroit.
Kuessipan, Naomi Fontaine. Editions Mémoire d’encrier, 2011.
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