Mur Méditerranée / Louis-Philippe Dalembert

« Qu’est-ce que ça fait d’être banni de sa terre natale ? D’être réduit en esclavage ? À des centaines et des centaines de kilomètres des siens, de sa langue maternelle, des paysages et des odeurs de son enfance. Qu’est-ce qu’on ressent ? L’exil rend-il la patrie perdue plus chère à son cœur ? Plus vivaces les « souvenirs », le « temps passé » ? La servitude invite-t-elle à maudire à jamais son oppresseur et ses descendants ? Engendre-t-elle la haine de soi ? »

Voici un récit actuel, fort, puissant, et essentiel.Ce livre bouleversant est très intelligent, complexe et riche. Je vois que je ne vous en avais toujours pas parlé, il est donc grandement temps que je me rattrape.

Elles sont trois, elles ne sont pas du même pays, n’ont pas la même religion ni le même milieu social, n’ont a priori pas grand-chose en commun si ce n’est cette force intérieure qui les pousse à tout laisser derrière elles pour fuir une situation intenable et tenter une nouvelle vie ailleurs, vers l’inconnu. Elles vont se retrouver sur un bateau, géré par des passeurs violents et malhonnêtes, qui doit les emmener de la Lybie à Lampedusa, afin de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée. Nous suivons à travers des chapitres croisés leurs parcours , de la prise de décision du départ à la traversée en mer.

Il y a d’abord Chochana , jeune nigériane de confession juive, une forte tête pleine de dynamisme. Elle grandit dans une région devenue aride, victime d’un bouleversement climatique irrémédiable qui détruit son village à petit feu, la poussant à s’enfuir avec son jeune frère, laissant ses parents derrière elle.

Il y a ensuite Semhar l’érythréenne chrétienne, petite, menue mais résistante et déterminée, surnommée « La teigne ». Comment espérer grandir, vivre, se construire, s’épanouir dans un pays où tout est verrouillé, inatteignable, où l’on sait quand on commence son service militaire, mais jamais quand on le finit. Une perspective d’avenir nulle, et une envie de vivre malgré tout la lancent dans un périple chaotique avec une amie et son compagnon.

Enfin il y a Dima , bourgeoise bien née syrienne et musulmane, dont la vie semblait toute tracée jusqu’à l’irruption de la guerre dans Alep. Il a fallu tout d’abord quitter avec mari et enfants sa maison se réfugier chez des proches en espérant que le conflit ne se développe pas, et la réalité est arrivée, il a fallu se rendre à l’évidence : fuir en occident pour survivre.

« Le réel exil commence lorsque le présent est confisqué. Quand on est condamné à rêver le temps d’avant et à attendre l’avenir. »

Chawki Abdelamir

Pour écrire cet ouvrage, Louis-Philippe Dalembert s’est inspiré du tragique naufrage d’un navire en provenance de la Libye vers Lampedusa, en juillet 2014. Plusieurs centaines de voyageurs clandestins avaient alors été secourues par le pétrolier danois Torm Lotte. Le romancier s’est appuyé sur des témoignages recueillis auprès de réfugiés, d’associations d’aide aux migrants, du précédent maire de Lampedusa lors de ses voyages en Afrique ou au cours d’un séjour à Lampedusa, pour retranscrire avec réalisme et humanité l’atmosphère du long et terrible voyage en mer.

Un auteur qui s’est nourri du réel pour construire son roman et cela se sent, et qui nous offre un récit vif et profondément humain. Car il creuse bien au-delà des clichés et représentations simplistes qui font souvent dans la fiction ou les médias du migrant une figure repoussoir, ou bien un être sans relief, ni complexité.Nous sommes là face à trois personnages réels, avec leurs préjugés, leurs contradictions, détestables pour certains, qui réfléchissent, évoluent, luttent, souffrent mais avancent.

Louis-Philippe Dalembert réussit à nous faire ressentir des émotions puissantes, et à nous rappeler que la fuite, la migration, c’est aussi la douleur de l’exil, le deuil d’une culture, d’une nation, de proches qu’on aimait et que l’on ne reverra sûrement jamais, en somme un choix toujours difficile qui force le respect.

Mur Méditerranée, Louis-Philippe Dalembert. Editions Sabine Wespieser, 2019.

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