
« Les écrivains sont comme des assureurs. Tout en portant l’espoir, ils parient sur le malheur. Chez eux tout est projection. »
Gauz le virtuose de la langue a encore frappé, et le résultat est brillant. Troisième publication dans laquelle on retrouve son style si particulier, vivant, chaleureux et puissant, dont j’avais déjà pu vous parler dans la chronique de son premier roman Debout Payé. Black Manoo était l’une de mes grandes attentes pour cette rentrée décidément de qualité, et le moins qu’on puisse dire c’est que je n’ai pas été déçue.
Black Manoo, c’est ce jeune Ivoirien qui grandit dans le quartier bourgeois de Cocody à Abidjan, avant de partir grâce à une bourse étudier en URSS. Enfin ça c’est qu’on lui a promis raconte-t-il à l’avocat français censé l’aider à préparer sa demande d’asile. Utilisé comme chair à canon par l’armée soviétique Emmanuel de son vrai nom revient brisé et oublie ses souvenirs dans tout ce qui peut le faire planer.
Après avoir saisi une opportunité, et paré de son costume rouge pour éloigner les mauvais esprits, le voilà qui débarque dans un Paris des années 90 chamarré, non sans avoir fait s’arrêter le taxi qui l’ y déposait en plein périphérique pour faire son rituel, car « on n’entre pas dans une ville comme on rentre dans un grenier à mil ».
On le suit devenir un « Ivoirisien » dans les quartiers populaires du Nord-Est de Paris, allant de squat en hébergement, jusqu’à ouvrir son petit bar clandestin le « Sans-Issue, où l’on y fait des rencontres singulières et émouvantes. Moussa le brouteur, Mamadou, Désirée la banquetteuse, et sans oublier Solo-des-grands-B, vieux propriétaire auvergnat qui dit à juste titre que l’étranger n’est pas toujours celui qu’on croit. On vit, on survit, on se débrouille.
Black Manoo c’est une vie hors du commun mais qui en raconte mille autres en même temps. On rit, on s’attache, on se délecte de cette ambiance de joie malgré le pire qui peut arriver. On déguste ce rythme, cette langue originale et travaillée. Un livre riche et dense qui dénonce et marque durablement.
Black Manoo, Gauz. Le Nouvel Attila, 2020.